Vernon Subutex tome 3
Virginie Despentes
Livre de poche
7,90 euros
Résumé des épisodes précédents à l’usage de ceux qui les ont oubliés, ne les ont pas lus, ou ne les liront pas. Vernon Subutex, disquaire qui a dû mettre la clef sous la porte, est à la rue. Squatter le canapé ou le lit des ami(e)s n’a eu qu’un temps. Après avoir été sauvé d’une crève mortelle par un vieil alcoolique qui a su doser les oranges et le paracétamol, Vernon Subutex a pris racine sous les arbres du parc des Buttes-Chaumont. Là, il a été rejoint par une cohorte de solitaires, en une sorte de secte. Le troisième et dernier tome du feuilleton de Viriginie Despentes voit Subutex séjourner loin des villes, dans une sympathique communauté qui déménage sans cesse et se nomme «le camp». Il en est le gourou parce que c’est ce que les autres font de lui. A son contact, ils s’apaisent, se confient, laissent s’exprimer le meilleur d’eux-mêmes.
Quand Vernon Subutex 3 commence, le héros a une rage de dents telle qu’elle nécessite un déplacement à Paris. L’ami Kiko finance le voyage et les soins, c’est un nanti qui a fréquenté le camp puis a «remis le nez dans la coke». Il a des plans à la Ron Hubbard pour Vernon Subutex, que ça laisse froid : «Je suis DJ, je ne suis pas un putain de prophète.» La jeune femme qui accompagne Vernon trouve l’appartement de Kiko d’un «luxe insultant». C’est le premier scud sociologique et politique balancé par l’auteur. Il y en aura d’autres. Plusieurs personnages prendront le relais pour relater la guerre des riches contre les pauvres, notamment à l’occasion des Nuits debout place de la République. Despentes rattrape en effet l’actualité au terme de son feuilleton, celui-ci couvrant une décennie. «La Bourse, avant la vie. Mais à part ça – aucune violence», ironise une ancienne pocharde, reconvertie en service d’ordre à elle seule, à propos des bourgeois soi-disant pacifiques.
Héritage
Vernon Subutex est moins radical. Il se méfie juste des élites, des élus, peut-être en cela porte-parole de l’auteur, allez savoir. «Les gens de pouvoir ne racontent pas la vérité. Jamais.» Il y pense lorsqu’un héritage inattendu vient semer la zizanie dans le camp et, en ce qui le concerne, réorienter son destin. Il aurait pu passer cet argent sous silence. Mais il n’est pas un homme de pouvoir. Alors, il a parlé de ces centaines de milliers d’euros qui allaient leur échoir. Qu’en faire ?
Au camp, tout se discute, et l’organisation se fait malgré tout dans l’harmonie. Le mot «douceur» est ce qui résume le mieux l’ambiance qui règne dans «les convergences», ces grandes fêtes ouvertes. Cela rappelle les festivals des années 70, estime une participante, la première fois qu’elle vient. On danse, on plane, et pourtant aucune substance ne circule, ni aucun alcool. «Elle est quelqu’un de rationnel. Elle ne s’attendait pas, hors drogue, à voir des rubans de couleur lier les gens entre eux.» L’utopie que Virginie Despentes met en scène et en action s’appuie essentiellement sur la musique. La musique nécessite les dons de DJ de son personnage principal (mais qui ne tire pas la couverture à lui), et développe les ressources de chacun : «Les convergences transforment les gens.» D’où la force d’attraction exercée par ce groupe, et la jalousie qu’il excite.
Tel est le message possible de ce roman qui zigzague, qui aime laisser l’intrigue filer pour mieux la tirer par les cheveux quelques portraits plus loin : la musique rassemble, et c’est donc à travers elle, de préférence, que les fanatiques frappent au cœur. L’attentat du Bataclan est omniprésent, et on ne manquera pas de penser, aussi, à celui de Manchester.
Overdose
Bien sûr, certains amis de Vernon Subutex conservent leurs idées noires. «C’est vivifiant, la haine», estime par exemple le scénariste désœuvré déjà rencontré dans les épisodes précédents, qui laisse s’épanouir des envies de meurtre, mais uniquement en son for intérieur. Deux protagonistes extérieurs au camp se chargent quant à eux d’exercer une brutalité qui n’a rien de fantasmatique. L’un est producteur, et son abjection ne connaît plus de limites : «Désormais, il pense sans filtre.» L’autre est son bras armé. Il était le manager d’Alex Bleach, chanteur de rock décédé d’une overdose, qui a laissé derrière lui une confession dérangeante, enregistrée sur cassettes. Il y est question de l’assassinat de Vodka Satana, star du porno, dont la fille est devenue une musulmane pratiquante.
Il ne s’agit plus de courir après cet enregistrement dans Vernon Subutex 3. Alex Bleach a perdu son aura en cours de route. Le projet criminel du producteur concerne deux gamines dont il veut se venger, car elles lui ont méchamment tatoué le dos. Les petites se sont volatilisées grâce aux réseaux et à la haute compétence de la Hyène, héroïne récurrente de Virginie Despentes. La Hyène a interdit au camp l’usage d’Internet et des portables. Elle a «décrété qu’ils devaient s’exercer à vivre en passant sous les radars, en ne laissant aucune trace numérique, ni de leurs déplacements, ni de leurs conversations». Un pervers renchérit : «Les jeunes, Internet, ils vont être surpris de comment ça va leur claquer à la gueule.»
Critique de
http://next.liberation.fr/livres/2017/05/26/virginie-despentes-et-le-gourou-malgre-lui_1572584?xtor=rss-450